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«Aucun des deux modèles n’est soutenable»

Publié le 8 Mars 2015 par Philippe Roseren in Business

Journées de l'Economie - Interview

En marge de la neuvième édition des Journées de l’Economie organisées par PwC, LG Magazine a pu rencontrer en exclusivité le Professeur Lionel Fontagné, membre du Cercle des économistes et professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui revient sur une des thématiques phares de la deuxième journée de l’event, les antagonismes franco-allemands en matière de politique économique. Interview.

Il y aurait une contradiction absolue entre la vision économique française et la vision économique allemande. En France, vous affirmez que l’objet est de soutenir la demande interne avec pour corollaire une baisse de la compétitivité, tandis qu’en Allemagne, l’objectif consiste à vouloir résister à la concurrence externe à l’UE, ceci grâce à une main d’œuvre domestique bon marché. Tant le premier modèle que le deuxième modèle sont-ils soutenables sur le long terme?

Aucun des deux modèles n’est soutenable. S’il faut inévitablement prendre en compte la contrainte de compétitivité vis-à-vis des pays émergents, il ne faut pas pour autant trop réduire la demande interne par des politiques de rigueur salariales excessives. La solution pour résoudre cette équation difficile et donc résister à la concurrence internationale est l’innovation dans toutes ses dimensions, à savoir effectuer davantage de R&D, mettre sur le marché de nouveaux produits, mieux articuler la production de biens et de services et améliorer la qualité des biens et services. Gardons à l’esprit que dans un monde ouvert, l’on ne peut pas maintenir un niveau de vie élevé sans avoir une avance technologique sur les autres.

L’Allemagne semble sur la bonne voie à cet égard, mais souffre d’un vieillissement de sa population et d’une demande interne relativement faible, cela a été dit. L’Allemagne du futur se résumera-t-elle quelque part à devenir un pays peuplé de seniors et fabriquant de très bonnes voitures?

Ce serait bien évidemment caricatural. Ce qu’il convient de souligner, c’est que les Allemands s’efforçent d’aller au bout de ce qui est possible en matière d’innovation. Effectivement, l’automobile est un secteur qui gagne toujours plus d’importance dans l’industrie allemande et dont le contenu technologique proposé ne cesse de s’améliorer, mais l’industrie traditionnelle n’est pas en reste non plus.

Professeur Fontagné, vous avez été mandaté comme expert externe par le gouvernement luxembourgeois il y a plusieurs années pour accompagner les travaux du Comité de coordination tripartite sur le sujet de la compétitivité, et avez à cette fin présenté un rapport sur la position compétitive du Luxembourg. Aussi, dans ce « match » franco-allemand, où situeriez-vous le Luxembourg?

J’avais en effet rédigé un rapport sur le Luxembourg il y a dix ans dont le titre était «Une paille dans l’acier». J’avais voulu souligner dans ce rapport que le Luxembourg avait un certain nombre de difficultés potentielles, et que le modèle qui était en vigueur à l’époque, c’est-à-dire il y a dix ans, n’était pas soutenable. Nombre de ces difficultés ont été corrigées, d’autres non.

Pouvez-vous préciser ?

Au rayon des bonnes nouvelles, la mise sur pied de clusters de services « haut de gamme » autour de la finance et non uniquement dans la finance. Inversement, en matière d’ouverture de l’administration publique, trop peu d’efforts ont été déployés. D’une manière générale, je n’hésiterais pas à dire que le Luxembourg a fait un travail formidable et a passé l’épisode de la crise financière et celui des conséquences en matière de régulation financière sans trop de problèmes grâce aux ajustements consentis auparavant. A contrario, force est de constater que le Grand-Duché a perdu une partie de son dialogue social, puisque la Tripartite ne fonctionne plus vraiment.

Pour revenir sur les deux grands voisins luxembourgeois, vous expliquez que la différence existante entre le PIB allemand et le PIB français est amené à se réduire de façon considérable à l’horizon 2025. Dans le même temps, vous soulignez la dégradation rapide de la compétitivité française depuis 2006. Qu’est-ce qui vous permet dès lors d’affirmer le rapprochement des PIB allemand et français ?

Il s’agit là d’un postulat et non d’un scénario avéré, à savoir la croissance que l’on peut atteindre par rapport aux ressources que l’on détient. Si l’on se réfère à cette théorie économique, en comparant les investissements, le niveau d’éducation, la productivité, les tranches d’âge de la population ou encore l’efficacité énergétique des deux pays, la France devrait se rapprocher considérablement de l’Allemagne en termes de PIB. Mais cela reste donc hypothétique. J’irais même jusqu’à dire que, pour l’instant, nous ne nous orientons pas vers ce scénario, ce qui signifie qu’il y a d’autres éléments qui entravent la réussite de la France, soit des facteurs de blocage tels que la baisse de la compétitivité, le problème de la dépense publique ou encore le marché du travail atone.

Que pensez-vous de la théorie d’Olaf Gersemann, chef du service Economie du quotidien allemand « Die Welt », qui voit dans son pays un colosse au pied d’argile ?

Certains des éléments avancés par Olaf Gersemann sont à mon sens tout à fait justes, comme par exemple le fait qu’il existe des risques dans la spécialisation allemande, ce que l’on appelle «granularité» en économie, et que ceux-ci doivent être pris en considération. Concrètement, cela signifie que s’il y a un choc sur un des grands acteurs – et on pense là en particulier aux constructeurs automobiles, les répercussions macro-économiques seront extrêmement importantes. Les Finlandais en ont eu l’amère expérience avec le déclin de Nokia. L’autre partie de son argumentaire reposait sur sa vision d’une Allemagne devenue non-coopérative en matière de modération salariale et vis-à-vis de ses partenaires de la zone euro, ce qui a eu des conséquences macro-économiques sur la zone euro. Ce n’est pas faux, cependant, pour ma part, cette politique non-coopérative a été motivée par le sentiment allemand qu’il fallait résister à la concurrence internationale. Ce qu’il n’a pas dit et qu’il convient de rappeler, c’est que l’Allemagne était le pays le plus cher du monde avant les réformes Hartz (1).

On a pu entendre durant les débats que les « Américains font beaucoup mieux ». Est-ce vrai ? Leur modèle libéral est-il enviable ?

Les Américains font effectivement beaucoup mieux que nous sur plusieurs plans, mais moins bien sur d’autres. L’évolution des inégalités aux Etats-Unis est quelque chose qui n’est pas enviable en Europe et ne correspond pas à notre vision du monde. En revanche, la capacité américaine à rebondir sur des nouvelles technologies et de nouveaux bouquets de biens et de services de façon récurrente tous les quinze ans est impressionnante. Il n’y a d’ailleurs qu’à voir comment la crise économique et financière a été beaucoup mieux surmontée de l’autre côté de l’Atlantique. PhR

(1)Les réformes du marché du travail entreprises entre 2003 et 2005 sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder.
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