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"La révolution d'en bas"

Publié le 30 Juin 2013 par Philippe Roseren in Edito

Article de fond

La part des énergies fossiles dans les transports atteint la proportion effarante de 96%, raison pour laquelle ce secteur est responsable à lui seul d’un quart des émissions de gaz à effet de serre sur le globe. Parallèlement, le trafic mondial est en croissance constante. Face à ce constat alarmant, il reste à se demander si la solution réside tant dans le développement des énergies renouvelables que dans le changement des comportements.

Une évidence s’impose dès le départ : l’Homme a toujours manifesté le besoin de se déplacer et il n’est pas près d’y renoncer de si tôt, que ce soit par curiosité ou pour des raisons économiques. Oetzi, l’homme préhistorique découvert sur un col aux confins de l’Italie et de l’Autriche, était, d’ailleurs, nous dit-on… en voyage d’affaires. Et puis allez expliquer à un enfant que l’on ne partira pas en vacances cette année pour le bien de notre planète, ou, pire encore, convaincre les parents de résister à la tentation de vols allers-retours qui ne dépassent pas les quelques euros…

Ce besoin de mobilité a pu être satisfait par des avancées technologiques impressionnantes, de l’invention de la roue à l’avion de ligne en passant par l’automobile ou encore le dirigeable. L’Homme a cherché à pousser le bouchon toujours plus loin jusqu’à s’inviter sur la lune un jour de juillet 1969. Nous considérons ainsi que nos déplacements sont la condition sine qua non d’une bonne qualité de vie… mais de plus en plus de voix s’élèvent contre cet «art de vivre».

Car les mentalités évoluent, et selon un principe intéressant, celui du «Tel sera pris qui croyait prendre». Si au départ, il y a quelques années, l’impulsion du «comportement écologiquement responsable» est venue des acteurs politiques et économiques, pour des raisons d’image ou de marketing bien plus que pour des raisons écologiques, le résultat pourrait bien dépasser leurs espérances. Confronté en permanence à des images de désastres écologiques - dont le dernier en date sur les côtes de Louisiane n’est pas prêt de quitter les esprits -, les publicités à vocation écologique tous azimuts, les reportages sur le sujet diffusés en boucle, les articles de presse, les innombrables sites Internet dédiés à cette noble cause, l’Homme pourrait bien finir par prendre véritablement conscience du problème et réagir massivement.

De nouvelles initiatives aussi simples qu’efficaces que les systèmes de vélos en libre-service ont connu un réel engouement dans les villes européennes, et ce, aussi bien pour des raisons pratiques et économiques qu’écologiques, n’en déplaise aux nombreux experts en mobilité des plus sceptiques il y a peu encore. Aujourd’hui, c’est la voiture électrique qui est à l’étude en milieu urbain et qui devrait bientôt s’imposer.

Cependant, la partie est loin d’être gagnée, et le mot est faible. Tout d’abord à cause des limites de la technologie. Pour reprendre l’exemple de la voiture électrique, les spécialistes s’accordent à dire que ces engins ne dépasseront guère les frontières urbaines, problèmes d’autonomie obligent. En outre, soit dit en passant, cette énergie n’est que marginalement produite par des sources d’énergies renouvelables. Rien d’étonnant, dès lors, que les dirigeants allemands viennent de décider de proroger la durée de vie des centrales nucléaires. Autre exemple, ce n’est pas demain la veille qu’on verra des avions de ligne alimentés par l’énergie photovoltaïque.

Mais le véritable problème dans cette quête d’un mode de vie alternatif, ce sont les grands lobbys industriels. A commencer par le lobby pétrolier qui nous intéresse de près dans cet article. Si les Etats-Unis d’Amérique, sans lesquels aucune politique mondiale n’est possible et qui émettent à eux seuls 30 à 35% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ont été capables de nommer il y a quelques années seulement comme interface du gouvernement entre la communauté scientifique du climat et la présidence des Etats-Unis, un puissant lobbyiste – Philip Cooney, qui a travaillé pendant quinze ans pour l’institut du pétrole américain, inutile d’organiser des conférences internationales sur le climat. Intrinsèquement lié au lobby pétrolier, bien sûr, le lobby automobile, l’automobile, ce symbole de puissance, de liberté individuelle et de distinction sociale. Quel politique osera attaquer une industrie qui emploie jusqu’à 10% de la population active de son pays (si l’on prend en compte les activités connexes) ?

Dans son documentaire «Mourir pour la voiture», Paul Moreira, caméra à la main, va à l’encontre des «personnes les moins qualifiées», selon ses propres termes, fans de tunning, de SUV, de rodéo-shows dans les banlieues, etc., pour leur demander non sans raillerie ce qu’ils pensent du réchauffement climatique. Les réactions sont consternantes, à l’instar de ce chinois qui prétend que rester coincé deux heures dans un embouteillage est un signe de «progrès»…

En revanche, à première vue, il est facilement concevable de trouver d’autres pistes de réflexion pour limiter les déplacements comme réduire considérablement le nombre de voyages d’affaires grâce aux nouvelles technologies, notamment. Dernière invention en date, la «téléprésence», une arme redoutable pour réduire de façon considérable les déplacements individuels des hommes d’affaires, à la fois pour le bien de notre environnement et pour les finances des entreprises. Ce dispositif de communication vidéo par Internet permet de relier des interlocuteurs situés aux quatre coins de la planète par l’intermédiaire d’écrans haute-définition. Ceux-ci peuvent dès lors converser comme ils le feraient lors d’une réunion traditionnelle, le système captant les tons, les expressions faciales et le langage corporel. La réalité a rejoint la fiction.

Dans le même ordre d’idée, le télétravail serait peut-être LA solution qui permettrait de réaliser des économies de masse en termes d’émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des activités professionnelles. Hélas, au Luxembourg, par exemple, qui devrait penser à trouver des solutions radicales pour améliorer son empreinte écologique catastrophique, cette forme alternative d’organisation du travail n’est pas prête de s’imposer. La raison n’est pas tant à chercher du côté de la frilosité des entreprises que de celui de l’absence de volonté politique, comme nous l’expliquait dernièrement Jean Diederich, vice-président de l’ASTI, l’Association des Professionnels de la Société de l’Information. En cause, d’une part de la législation européenne qui stipule que les frontaliers doivent cotiser dans leur pays d’origine, ce qui signifie nettement plus qu’au Grand-Duché, d’autre part, le problème de sécurité des données au niveau du secteur public et des acteurs de la place financière.

La révolution viendra d’en bas, lorsque l’homme de la rue aura du mal à respirer dans les grandes agglomérations, verra les prix du pétrole grimper sans fin, des catastrophes écologiques frapper à sa porte… et réalisera que politiques et industriels n’auront pas su trouver un compromis équilibré entre intérêts économiques et écologiques.

PhR

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